Simulation Thermique Dynamique, Comment prendre en compte les îlots de chaleur urbains

L’un des enjeux majeurs des bâtiments très isolés est de limiter le risque d’inconfort en été. L’évolution climatique en milieux urbains matérialisée par les «îlots de chaleur» accroît cette problématique. Nous avons étudié ce phénomène et adapté ses outils afin de mieux prendre en compte les micro-climats urbains dans ses simulations thermiques dynamiques.

Les projets immobiliers prennent actuellement en considération les phénomènes climatiques locaux dans l’aménagement des centres urbains et des quartiers pour limiter notamment les phénomènes de pollution et d’îlot de chaleur urbain. Néanmoins, ces études ne descendent pas – ou peu – au niveau du bâtiment et des impacts sur le comportement thermique de celui-ci. L’arrivée progressive des garanties de performances énergétiques obligera les bureaux d’études à concevoir des bâtiments en tenant compte des phénomènes météo proches de la réalité, notamment en période estivale.

La non prise en compte de ces phénomènes peut engendrer des imprécisions sur les résultats des études. Sinon, le risque est une mauvaise prévision de la température estivale dans un logement.

C’est dans ce contexte que le bureau d’études thermique Amoes a décidé de mieux prendre en compte les climats locaux au sein de ses simulations thermiques dynamiques.

1. Les îlots de chaleur urbains, un phénomène très étudié

L’évolution climatique couplée à la densification des villes a eu comme effet de modifier les phénomènes climatiques en milieu urbain. Nous avons vu apparaître la notion d’îlot de chaleur urbain (ICU).

Les études sur les climats urbains sont nées avec les grandes migrations nationales et le dépeuplement des campagnes. Au milieu du XIXème siècle, une étude scientifique a montré que le centre-ville de Londres présentait des températures plus élevées que sa périphérie. Toutefois, ce n’est que cent ans plus tard que l’expression «îlot de chaleur urbain» (ICU) a été employée pour la première fois. Les ICU se caractérisaient alors par la présence d’une température plus élevée en ville que dans la zone environnante. La technologie – notamment la thermographie – a permis par la suite d’illustrer que le réchauffement des températures coïncidait presque toujours avec l’emplacement des villes. 

2. Un phénomène cyclique

L’ensemble des études menées a permis de montrer que les phénomènes d’ICU suivent un cycle répétitif avec une intensité dépendante de nombreux facteurs. Les plus prépondérants sont l’ensoleillement, la température de l’air ou les surfaces du site.

L’écart de température entre le centre-ville et sa périphérie augmente dès le milieu de la journée (moment où le soleil est à son point culminant), atteint son maximum après le coucher du soleil, puis diminue durant la nuit pour atteindre son minimum aux premières heures de la matinée. L’intensité des îlots de chaleur «a tendance à augmenter pendant les périodes anticycloniques où le maximum est atteint en général de 3 à 5 heures après la tombée de la nuit» (1). Ce phénomène est donc plus développé en été voire même pendant la moitié la plus chaude de l’année.

3. Les origines d’un ICU...

L’îlot de chaleur urbain est donc une problématique rencontrée avec l’évolution du climat surtout en milieu urbain. Nous allons voir que ce phénomène dépend de différentes causes entrant en jeu telles que les principes architecturaux des quartiers et des bâtiments ou des facteurs physiques (échanges thermiques).

Les facteurs qui amplifient cet écart de température entre centre urbain et périphérie sont (figure 2) :

L’importance des surfaces des sols et bâtiments qui absorbent la chaleur le jour puis la restituent la nuit (certains matériaux ont des propriétés leur permettant de capter et de stocker la chaleur durant plusieurs heures). L’exemple le plus frappant concerne les surfaces de certains parkings en plein soleil : la température à quelques centimètres du sol est importante ;

Le piégeage radiatif. Ce phénomène consiste en l’absorption progressive des flux radiatifs issus des multi-réflexions sur les parois des bâtiments et sur le sol (flux qui ne sont pas systématiquement redirigés vers le ciel). L’intensité de ce piégeage étant d’autant plus importante qu’il y a de rayonnement solaire, les ICU seront favorisés durant les périodes ensoleillées ;

Un taux d’humidité plus faible dû à une imperméabilisation des sols plus importante entraînant un ruissellement des eaux de pluie. Ce phénomène empêche le rafraîchissement de l’air par évaporation de l’eau ;

- les configurations urbaines qui peuvent limiter l’action rafraîchissante des vents (géométrie des bâtiments, des rues...) ;

- le dégagement de chaleur issu des activités humaines (circulation automobile, appareils tels que les climatisations...) ;

- les émissions de polluants (incluant les aérosols) qui modifient les échanges radiatifs dans l’atmosphère, les nuages et les précipitations.

4. Un phénomène difficilement quantifiable...

Afin de quantifier ce phénomène, de nombreuses thèses et études ont été menées. Nous pouvons citer parmi celles-ci le projet VURCA du CIRED (3) dont l’objectif était notamment d’étudier «la vulnérabilité de l’espace urbain parisien aux vagues de chaleur en termes de pertes de confort thermique».

De même, de nombreux chercheurs ont tenté de quantifier l’intensité des îlots de chaleur avec des paramètres liés à l’urbanisation. Par exemple, des corrélations sont établies entre l’écart de température en centre urbain et en périphérie, le rapport d’aspect caractéristique des rues de la ville (ou aspect ratio), la population d’une ville ou bien le degré d’ouverture au ciel de la structure urbaine (ou sky view factor, SVF, dans la littérature anglaise).

5. Comment Amoes a-t-il adapté sa démarche ?

Nous effectuons les simulations thermiques dynamiques sur TRNSYS (Transient system simulation tool, qui se prononce «tran-sis»), alimenté par des données météorologi- ques via l’outil Météonorm, édité par Meteotest Cooperative. Ce logiciel permet de générer des données provenant de stations de mesures situées en dehors des centres urbains (comme les zones aéroportuaires), ou interpolées à partir de plusieurs stations. Les études menées par Amoes jusqu’alors ne prenaient pas en compte les spécificités urbaines du climat. Il a donc été décidé de compléter cette démarche afin d’estimer plus finement le comportement thermique du bâtiment - notamment en situation estivale.

6. Un projet de recherche

Ainsi a été mis en place un projet de recherche et développement qui a eu pour ambition :

- de se baser sur les différentes études menées afin de quantifier les impacts des différents facteurs sur la simulation thermique dynamique ;

- d’identifier les sources d’informations permettant de confronter nos outils actuels.

L’objectif était d’aboutir à un outil permettant de générer des données climatiques prenant en compte les climats urbains et de les utiliser dans TRNSYS. Les ingénieurs d’Amoes ont ainsi effectué une analyse de l’outil Météonorm et identifié les spécificités à apporter afin de générer des données météo proches de la réalité en centre urbain. Ils ont ensuite analysé, sur différents sites de mesure, le profil quotidien de température des stations de mesures en centre-ville et en périphérie. Ces stations de mesure collectent des données pour le réseau Infoclimat. Les informations ont été jugées fiables par Amoes, qui s’est assuré de la consistance des données mesurées et de l’emplacement des stations.

L’objectif de ces tests était de vérifier que les courbes de température de l’air faisaient ressortir les constats issus des études bibliographiques. Pour l’ensemble des sites étudiés, les résultats ont confirmé les tendances des ICU :

- le phénomène est présent à partir du milieu de journée et le maximum est atteint après le coucher du soleil (vers 18 h en hiver, durant la nuit en été) ;

- l’écart de température entre le centre et la périphérie augmente en fonction de la taille de la ville (donc de son urbanisation, de l’activité humaine...) ;

- l’intensité du phénomène est plus importante en été qu’en hiver.

Les résultats ont été étudiés sur des journées ensoleillées (informations fournies par Infoclimat).

Comme nous pouvons le remarquer sur la figure 3, nous retrouvons les caractéristiques du cycle horaire des ICU. Les courbes présentées ici ont été obtenues en moyennant les températures de l’air mesurées lors d’un mois d’hiver (décembre 2008) et un mois d’été (juin 2008), collectées par des stations situées en périphérie et en centre-ville d’une ville moyenne du sud de la France. Ainsi, le pic d’intensité dans les deux cas est bien situé après le coucher du soleil : minuit en été et 19 h en hiver.

7. L’élaboration de l’algorithme

Après avoir identifié les principales caractéristiques des îlots de chaleur urbains ainsi que les limites de la démarche actuelle, nous avons mis en place un outil permettant de modifier les données climatiques générées pour prendre en compte les spécificités des climats urbains. Il permet de pondérer les températures mais également l’humidité relative. En effet, il est apparu qu’il fallait tenir compte de l’impact du phénomène sur le taux d’humidité relative, donc modifier la température avec une humidité absolue constante - l’air aura la même teneur en vapeur d’eau après modification de sa température.

L’algorithme modifie les températures et humidité relative sur une plage horaire bien définie. Pour rappel, les ICU sont présents dès le milieu de journée jusque tard dans la nuit (pour schématiser de midi à 6 h le lendemain matin) et dépendent de la saison. La plage horaire impactée sera celle de midi à 6 h le lendemain matin. L’outil mis en place prend en compte uniquement les journées ensoleillées dans son calcul ; cette information est extrapolée à partir de données générées par Météonorm. Si une journée est ensoleillée, l’ICU débutera en journée jusqu’au lendemain matin. L’enjeu est de construire une nouvelle courbe de température «naturelle» afin de ne pas générer des températures irréalistes.

Au sein de notre bureau d’études, ce nouvel outil a également entraîné une évolution dans la démarche mise en place pour effectuer des simulations thermiques dynamiques sur des projets en site urbain. Pour chaque nouveau dossier, les collaborateurs identifient la sensibilité du site à un ICU. Cette phase permet de mettre en place la pondération des données de températures et d’humidité, et les étapes peuvent être résumées ainsi :

Étape 1 - Génération d’un fichier météo via l’outil Météonorm :

- Basé sur des données mesurées si site proche d’une station ;

- sur des données extrapolées de plusieurs stations.

Étape 2 - Identification et quantification des spécificités propres au site dans le cas d’un site urbain :

- sur des critères liés à la taille de la ville ;

- liés à l’urbanisation du site (rue dense, proximité d’un parc ou d’une forêt urbaine...).

Étape 3 - Pondération du fichier météo prenant en compte ces spécificités locales :

- travail sur les données de température et sur les données d’humidité relative ;

- pondération effectuée et génération d’un nouveau fichier TM2 (un des formats de fichier utilisé par TRNSYS).

Cette démarche est une première étape dans la caractérisation des îlots de chaleur urbains. Il fallait trouver un équilibre entre une analyse poussée du site (qui serait possible en étudiant tous les paramètres architecturaux, aérauliques, activités humaines) et la réactivité d’un BE à produire des simulations thermiques dynamiques fiables dans des délais raisonnables. D’ores et déjà l’outil permet d’être plus proche de la réalité en termes d’estimation du confort d’été au sein des bâtiments pour des projets soumis à des microclimats urbains. Cette nouvelle démarche implique qu’Amoes soit plus ambitieux dans ses préconisations pour améliorer le confort d’été dans l’habitat.

Nous réfléchissons déjà à des évolutions de l’outil afin de prendre en compte d’autres spécificités telles que les îlots de fraîcheur urbains, caractérisés par des baisses de température sur des sites proches d’espaces verts ou d’espaces d’eau, ainsi que l’évolution des microclimats urbains en fonction de l’évolution climatique.

Bibliographie

(1) Contribution à l’analyse de la prise en compte du climat urbain dans les différents moyens d’intervention sur la ville

- Université de Paris Est - Colombert Morgane – 2008.

(2) Euroméditerranée - Veille documentaire - Fiches «Qualité Environnementale» - OB01_ACT002_FT002 - Phénomènes Îlot de Chaleur urbain_V2010 01 22.

(3) VURCA : Vulnérabilité URbaine aux épisodes Caniculaires et stratégies d’Adaptation - http://www.cnrm.meteo.fr/spip. php?article202

Trois critères de l’îlot de chaleur

Une veille documentaire d’Euroméditerranée (2) (établissement public d’aménagement de la ville de Marseille) synthétise bien le phénomène d’ICU qui se caractérise par :

- un rafraîchissement nocturne en milieu urbain fortement atténué. Ainsi l’heure du maximum d’ICU est généralement située quelques heures après le coucher du soleil ;

- l’augmentation de température en début de journée est plus rapide en milieu rural jusqu’à observer temporairement une température plus faible en ville ;

- une inertie du milieu urbain, notamment due aux matériaux et revêtements des surfaces urbaines (notion d’albédo).