Quelles énergies, émissions de CO2 et tensions possibles dans le futur ?

Chacun a sa propre approche des questions énergétiques : le consommateur final veut une énergie disponible et peu coûteuse, le citoyen veut des énergies accessibles au plus grand nombre, qui ne dégradent pas l’environnement et laissent une situation viable aux générations futures, et chaque individu, comme d’ailleurs chaque décideur politique, compose au mieux entre ces deux positions. EDF R&D a construit un modèle (« Mescalito ») qui évalue la soutenabilité physique des évolutions possibles du monde énergétique. Ce modèle rapproche des scénarii mondiaux de demande  énergétique, et des politiques d’offre réalistes. Il calcule les quantités physiques de chaque énergie primaire nécessaires année après année et les confronte aux raretés éventuelles. Le modèle gère alors les éventuelles substitutions entre énergies et évalue les dates des possibles tensions, ainsi que les émissions de CO2.

Les problèmes liés à l’avenir énergétique sont maintenant bien connus du grand public : raréfaction annoncée des énergies fossiles peu coûteuses, et en tout premier lieu du pétrole, et aussi réchauffement climatique lié aux émissions de CO2 et autres gaz à effet de serre. Il est maintenant mieux connu aussi que la raréfaction du pétrole pourrait augmenter – et non réduire – les émissions de CO2 : pour fabriquer des carburants liquides, la seule solution industriellement mature est la liquéfaction du charbon, laquelle émet près de trois fois plus de CO2 que le pétrole. Les autres solutions économiquement viables sont d’isoler les logements existants, utiliser des voitures qui consomment 3,5 litres/100 km, utiliser des appareils multimédias et un éclairage plus performant, etc.

Mais ces solutions ont des problèmes, elles sont souvent souhaitées par le citoyen soucieux du futur, mais en tant que consommateur, il n’accepte que difficilement de financer les surcoûts qui leur sont associés.

Il faudra donc à la fois du temps, une réelle volonté politique, et un cadre de cohérence adapté pour conduire les nécessaires transitions.

D’autres problèmes commencent à apparaître, qui ne sont pas négligeables : le manque d’eau dans de nombreuses régions du monde, et la rareté croissante de certains matériaux.

EDF R&D a construit un modèle (« Mescalito ») qui évalue la soutenabilité physique des évolutions possibles du monde énergétique. Ce modèle rapproche des scénarii mondiaux de demande  énergétique, et des politiques d’offre réalistes. Il calcule les quantités physiques de chaque énergie primaire nécessaires année après année et les confronte aux raretés éventuelles. Le modèle gère alors les éventuelles substitutions entre énergies et évalue les dates des possibles tensions, ainsi que les émissions de CO2.

Les trajectoires obtenues permettraient d’envisager une stabilisation de la concentration de CO2 autour de 520 ppm dans le meilleur des cas… mais plus de 800 ppm si les ressources carbonées étaient utilisées pour combler le déficit. Rappelons que le seuil de 550 ppm représente la limite au-delà de laquelle le climat subira des dommages irréversibles.

Finalement, pour ceux qui cherchent à structurer un monde énergétique soutenable, le problème n’est pas qu’il n’y ait plus de pétrole dans 40 ou 50 ans: de toute évidence, il y aura encore du pétrole à la fin du siècle. Le problème essentiel est simplement de savoir si nous aurons le temps de développer ces solutions alternatives avant que les tensions n’interviennent.

Lorsque le pétrole commencera à décliner, et il s’agit de remplacer un déficit annuel de 2 Mb/j, il faudra liquéfier annuellement quelque 350 millions de tonnes supplémentaires de charbon de qualité courante (6000Kcal/ Kg), ou mettre en service 40GW de nouvelles centrales électriques si l’on décide d’électrifier le parc automobile, ou encore 130 GW de nouvelles éoliennes. Ces besoins augmenteront chaque année, en proportion du déficit pétrolier.

Par ailleurs, lors du cyclone Katrina à la Nouvelle Orléans, toutes les mesures de protection de l’environnement ont été suspendues pour relancer l’activité économique de la région. Lorsque le monde sera confronté à une pénurie non anticipée de carburants liquides à horizon 2015-2020, il est possible que certains pays suspendent leurs efforts de limitation du CO2 pour produire des carburants de synthèse à partir de charbon ou de pétroles non conventionnels. Il est à craindre en effet que dans un contexte de crise économique mondiale, les impératifs de court terme ne prennent le pas sur la viabilité à long terme.

Les simulations montrent donc que la situation énergétique mondiale est porteuse de risques considérables.

L’Europe qui ne dispose ni de réserves fossiles et fissiles, ni de l’espace nécessaire à un développement massif des ENR, sera dans une situation particulièrement fragile.

La question n’est donc plus de savoir si l’Europe peut encore éviter la coûteuse reconfiguration de son système énergétique, la question est plutôt de savoir à quel moment elle sera faite: soit elle commence dès maintenant, dans un contexte encore relativement stable et pacifié, soit elle se fera dans l’urgence alors que le pétrole aura commencé à décliner et que le monde connaîtra de graves tensions économiques et militaires.

Au total, le coût d’un tel plan d’urgence serait de l’ordre de 35 à 40 G€ annuel pour le périmètre France. À terme (50 ans?), il est possible de construire un secteur énergétique pratiquement indépendant des énergies fossiles et non émetteur de CO2. Un tel plan, créateur d’environ 400000 emplois liés à l’énergie d’après nos estimations, devrait pouvoir être géré sans grande difficulté pour nos économies.

Seul un plan d’urgence à l’échelle planétaire permettrait la transition vers un mix énergétique soutenable. C’est donc au niveau mondial que le citoyen doit imposer des plans d’urgence au consommateur.

L’AIE évaluait en 2003 les besoins d’investissements énergétiques mondiaux à hauteur de 16 000 G$ pour les trente prochaines années, soit un peu plus de 500 G$ par an. Au total, il s’agit donc d’utiliser un peu plus de 2% du PIB mondial pour structurer une situation énergétique viable, ce qui n’est pas négligeable. Le récent rapport Stern chiffre entre 5% et 20% du PIB mondial le coût possible du seul changement climatique si les mesures ne sont pas prises à temps.

Une réelle sobriété énergétique sera nécessaire dans les pays les plus consommateurs pour arriver à boucler le bilan. Ces plans d’urgence ne porteront leurs premiers effets visibles qu’au bout de 15 ans, et il faudra 30 à 50 ans pour les développer pleinement et  reconfigurer l’ensemble du monde énergétique. Si les décisions sont prises rapidement, nous avons une chance de réussir à structurer une réelle coopération mondiale et d’éviter que les tensions énergétiques qui se profilent autour de 2015-2020 ne dégénèrent en conflits mondiaux et autres effondrements économiques, pour un coût qui  dépassera très largement 2 % du PIB.

Pour construire le nouveau monde énergétique, il reste à dénouer deux difficultés, qui ne seront pas les plus faciles. L’une concerne le consommateur: « il n’est pas contraire à la raison de préférer la destruction du monde entier à une égratignure de mon doigt » (David HUME (1711-1776) « Traité de la nature humaine » livre II, partie III, chap. 3.). L’autre concerne le  citoyen: « tout le problème vient de ce que nous ne croyons pas ce que nous savons » (Jean-Pierre DUPUY, « Pour un catastrophisme éclairé », ed. du Seuil 2002.).

SOURCE : Extraits du rapport d’EDF R&D de Janvier 2007. Par YVES BAMBERGER Directeur EDF R&D, membre de l’Académie des Technologies et BERNARD ROGEAUX Conseiller de Synthèse à EDF R&D.