Bâtiment : Repenser la ville comme un écosysteme

« Métabolisme urbain et empreintes environnementales sont encore mal connus : les études de cas sont rares, les méthodes […] en cours d’élaboration […]. Les enjeux, […] fondamentaux, dépassent la simple comptabilisation de tonnes, d’hectares, de mètres cubes [consommés] [pour réfléchir […] sur la matérialité des sociétés à l’anthropocène ». S.Barles, 2008.

LES DURES LOIS DE LA MATIERE

Le modèle économique actuel conduit les populations à se concentrer dans les grandes métropoles. Mais celles-ci ont cessé d’être autosuffisantes avec leur territoire. Le phénomène de vampirisation des ressources par ces méga centres urbains s'amplifie. L’histoire du Grand Paris est celle d’une déconnexion entre les cycles biogéochimiques et la ville, entre le 19e siècle et aujourd’hui. Paris s'est construit à partir des ressources en gypses et en calcaire de son sous sol, du bois flotté en provenance de Bourgogne. La ville fournissait à sa ceinture agricole les engrais dont elle avait besoin grâce à la collecte de résidus urbains. A partir des années 1930 l’essentiel des ressources recyclables (bois, pierre, brique, chiffons, crottin de cheval, poudrette) deviennent des déchets non valorisés et dans les années 1960 le bois d’œuvre issu des démolitions est évacué hors la ville (Francilbois). L’extension des réseaux urbains avec la généralisation du système automobile entraîne l’artificialisation des sols à grande échelle. La construction en béton armé devient hégémonique dans la construction, conduisant à la raréfaction actuelle du sable et des granulats, pointés dans tous les rapports du Grand Paris.

Chaque jour, en Ile de France, 16 000 camions (14% du trafic PL) transportent des déchets de chantier (démolitions et excavations) vers les lieux de stockage de la grande périphérie, sur des terres agricoles rendues stériles (20 millions de t par an). La région exporte ses déchets de plus en plus loin et importe plus de 80% de ses matériaux de construction, au sein d’un métabolisme de plus en plus insoutenable. La part recyclée et valorisée des déchets ne représente que 23% de l’ensemble des déchets produits, qui sont essentiellement stockés ou incinérés. Quant aux biens de consommation, ils sont conteneurisés et parcourent des milliers de kilomètres avant d’être ingérés dans la ville-monde.

URBANISME : QUELQUES EXEMPLES DE CHANTIERS DEVANT NOUS

Une telle situation n’est pas gérable sur le long terme. Si nous voulons rendre la ville « soutenable », il nous faut :

- Freiner cette frénésie de consommation de ressources des métropoles : réhabiliter et adapter plutôt que rénover et démolir ; diversifier les modes constructifs, privilégier la préfabrication et utiliser des matériaux moins énergivores; favoriser les courtes distances et la performance énergétique des bâtiments ; exploiter au mieux la « mine urbaine » en réemployant les matériaux, par l’économie circulaire ;

- Revaloriser les villes de petite taille en déclin actuellement (maille de 15 000 à 45 000 habitants), dans un fonctionnement en réseau : moins gourmandes en ressources rares, elles peuvent accueillir des populations et des emplois plus résilients, une agriculture de proximité repensée selon des modèles agro-écologiques, la petite fabrication (PME) intégrant de l’innovation mais aussi des savoir-faire à reconquérir, des auto-entrepreneurs en réseau, et ce dans un parc habitable à revitaliser ; une économie plutôt sociale, et souvent solidaire ;

- Revaloriser la convivialité urbaine et la qualité des loisirs en ville : face au tourisme de masse ou de court séjour par avion, de nouvelles formes de convivialité urbaine s'inventent (balades urbaines, jardins partagés, fab labs et repair cafés, AMAP, disco soupes, brocantes…) qui démontrent l’attente citadine d’une revitalisation des liens sociaux et de  la vie culturelle, autour de chez soi, réduisant le besoin d’ « évasion » ;

DANS L’ARCHITECTURE ET LE BATIMENT

On construit trop : on estime qu’il y a en 2015 plus de 5 millions de m2 de bureaux vides en Ile de France. Les projets autour du Grand Paris express en prévoient 10 millions supplémentaires… La défiscalisation favorise la construction de logements sans locataires, dans des régions en déclin, des villes sans étudiants ou pour le tourisme saisonnier. Les PLU (plans locaux d’urbanisme) continuent à imposer des parkings individualisés dans chaque opération, générateurs de coûts exponentiels, de volumes énormes de déblais, de difficultés de gestion et de reconversion de ces sous-sols.

La construction en béton banché domine la construction du logement en France depuis 50 ans. Façade porteuse et isolation par l'intérieur constituent une spécificité française à l'échelle européenne.

Pourtant les constructions en poteaux-poutres ou dalles-poteaux basées sur l'assemblage permettraient d'économiser de la matière et de diversifier les matériaux. Elles sont incontestablement plus adaptées à la déconstruction et au réemploi, à l'adaptabilité du cadre bâti.

La réhabilitation, gisement d’économie et d’innovations

La réhabilitation présente plusieurs avantages décisifs, que l’on pourrait appeler le « triple effet ». D’abord, en évitant de nombreuses démolitions, elle évite la production de déchets de chantier, pour partie pollués, dangereux ou difficiles à recycler (amiante). Ensuite, c'est logiquement là que se situe le gisement d'économie d'énergie dans le bâti.

Enfin appelant de multiples innovations de procédés en surélévation, en densification, en changement partiel ou total d’usage, en combinatoire de programmes et mixité des fonctions, la réhabilitation intelligente permet d’inventer une ville et une architecture plus résilientes, donc adaptée aux enjeux de demain.

Exemple, la réhabilitation par façades isolées en préfabrication bois, à partir de relevés tridimensionnels a d’importants avantages : rapidité, précision, faibles nuisances, peu d’intervention en milieu occupé, faible stockage sur chantier. Les métiers y sont plus qualifiés, appuyés par une démarche qualité intégrée au procédé industriel, qui peut revitaliser la filière bâtiment tous corps d'état confondus. (Voir le programme européen TES Energy Facade).

Dans le secteur  tertiaire, on peut facilement atteindre un facteur 10 d’économie d’énergie. En intégrant dans les calculs les équipements et cycles d’usages intérieurs, on peut éviter la climatisation. Les immeubles de bureaux, souvent construits en poteaux-poutres, se convertissent bien en résidentiel mixte.

La construction neuve : viser la simplicité efficace, l'économie des ressources et l’adaptabilité

Les différentes réglementations thermiques de 1974 à la RT2012 n'ont que très peu fait évoluer le modèle constructif français du logement en façades BA et isolation par l'intérieur, ventilation simple flux. Les tendances observées sont au suréquipement des bâtiments en systèmes énergétiques plus ou moins complexes et lourds en entretien maintenance. La high-tech s’installe dans les bâtiments (systèmes intelligents de régulation, domotique, GTB ; matériaux à changement de phase ; vitrages à contrôle solaire, bétons transparents, etc.) dans une course en avant entre fabricants pour se démarquer. Mais sont-ils efficaces, robustes et durables ? Pour leur fabrication, ces produits nécessitent des métaux et matières rares.  

Oui à la domotique à condition qu’elle rende un service à haute valeur ajoutée : piloter un by-pass d’échangeur de ventilation double-flux pour rafraîchir un bâtiment oui ; commander à distance la porte du garage pour faire sortir le chien, non ! Domotique fourre-tout où pullulent les gadgets, elle est pourtant éligible au crédit d’impôt. Inversement la GTB peut jouer un rôle réellement efficace dans le tertiaire ; dans le logement elle s’avère souvent trop complexe, inexploitable. Un bâtiment low-tech réussi devra viser la sobriété en équipements, tout en accompagnant l’usager pour s’approprier les habitudes économes en énergie.

Pour réduire la pression sur les ressources, concevoir durablement demande d’investir prioritairement sur une enveloppe performante, qui réduit les besoins de puissance et les systèmes compensatoires. Récupérateurs de chaleur sur les chutes d’évacuation d'eau grises, échangeurs métalliques dans une ventilation double-flux deviennent des systèmes simples assurant un confort d'hiver et d'été à moindre frais. A Montreuil, un bâtiment livré de 17 logements collectifs à R+5 tout bois et passif, est équipé d’une simple chaudière de maison individuelle pour chauffer et produire l’eau chaude sanitaire des 17 appartements et ce, sans recours aux énergies renouvelables ! Cette opération, sans parking souterrain imposé, est compétitive en termes de prix et de loyers. Un faible coût de maintenance rejoint l’enjeu bas carbone.

CONCLUSION

Freiner et inverser notre rapport aux ressources devenues rares demandera une génération. Il ne s’agit plus d’optimiser et réduire de 40% nos consommations, mais bien de diviser par 4 notre gaspillage. Nous y voyons cinq défis mobilisateurs, en urbanisme comme en architecture :

- recycler les villes et le bâti existants, par un nouveau design et des services mutualisés, plus que par des infrastructures lourdes ;

- donner la priorité au watt non consommé, et au déchet non produit ;            

- inverser les logiques d’obsolescence par celle de la robustesse et de la réparabilité ;

- rendre la ville conviviale pour tous, en reconquérant les espaces publics et collectifs de la vie locale par rapport aux fonctions purement circulatoires ;

-  innover radicalement en matière de mutualisation de ressources et d’économie à l’échelle de l’îlot urbain et pas seulement à celle du bâtiment.

 

Julien LANGE, @atelieracturba, urbaniste-programmiste

Stéphane COCHET, architecte, passivhaus designer

François BOURMAUD, Amoès, Ingénieur ECP p2006