À la découverte de la récupération des urines !

En voici un titre alléchant ! Il y a quelques semaines, Charles, Julie et Julien, les 3 Amoèsien.ne.s les plus impliqué.e.s sur notre mission du Plateau de Saclay, ont pu bénéficier d'une formation sur la récupération des urines assurée par Evoloop et Louise Raguet, AMO de l'EPAPS sur le sujet. Compte-rendu !

La récupération des urines, pourquoi ?

En deux mots, la récupération des urines pour les utiliser dans l'agriculture permet de fermer la boucle des nutriments (azote, phosphore, potassium).

D'un côté en effet, l'urine représente une importante pollution à traiter par les stations d'épuration. Le problème bien connu des algues vertes sur les cotes bretonnes, lié là-bas aux rejets de l'élevage, n'est que la face la plus visible de l'enjeu plus large de l'eutrophisation des cours d'eau : du fait de l'excès de substances nutritives dans les écosystèmes, les algues prolifèrent et étouffent le milieu en consommant tout l'oxygène. L'implication sur l'assainissement est colossal : 80% de l'azote à traiter provient en effet de l'urine, qui représente moins de 1% du volume des eaux usées... et pour donner un ordre de grandeur de l'enjeu en Île-de-France, il suffit de réaliser qu'en été, la moitié du débit de la Seine en aval d'Achères sort des stations d'épuration ! Et malgré cela, 40% de l'azote est toujours évacué dans les rivières car le traitement n'est pas efficace à 100%...

De l'autre côté, le phosphore, l'azote et le potassium présents dans les urines sont donc des engrais... qu'on ne récupère pas. Dans l'agriculture conventionnelle, on s'appuie sur des engrais chimiques (synthèse des engrais azotés, responsable de 2% de la consommation énergétique mondiale !) ou fossiles (extraction du phosphore, essentiellement en Afrique).

Ainsi, récupérer les urines pour les utiliser pour l'agriculture permet de résoudre deux problèmes en un ! Un bel exemple de circularité...

Circularite

Dans les bâtiments, on fait comment ?

Quelques équipements spécifiques et des tuyaux en plus, le rapport coût-bénéfices pour la récupération des urines est extrêmement favorable. Côté équipements sanitaires, on peut s'appuyer sur :

  • des urinoirs (sans eau) : il existe des "classiques" urinoirs masculins, mais aussi féminins ou mixtes. Leur principal avantage est qu'ils permettent de récupérer de l'urine non diluée, leur désavantage est qu'on limite le gisement (installation essentiellement pour le tertiaire, même si on peut aussi installer des urinoirs mixtes dans les logements familiaux, et on perd également les urines qui viennent avec les fèces, pas besoin de faire un dessin) ;
  • des toilettes à séparation à chasse d'eau : c'est logiquement l'inverse : ces équipements se prêtent bien aux logements, et permettent de récupérer l'intégralité du gisement, mais on a une part significative de dilution lors de la collecte (de l'eau vient toujours "polluer" l'évacuation spécifique de l'urine), ce qui pose des enjeux de transport et d'énergie pour la concentration en aval.

Toilette Separative

Ensuite, les étapes de traitement sont les suivantes :

  • stabilisation, avec une nitrification dans un bioréacteur afin d'éviter la volatilité de l'azote, qui engendrerait des pertes... et des odeurs ;
  • épuration avec un filtre à charbon actif, pour éliminer les résidus pharmaceutiques ;
  • concentration avec un distillateur : c'est systématique en pratique dès lors qu'on a de l'urine diluée, pour limiter les volumes traités.

Pour le transport, on peut s'appuyer sur des camions citernes pour évacuer les urines stockées dans des cuves en pied d'immeuble, ou bien mettre en oeuvre un urinoduc, qui peut être gravitaire ou sous pression.

Traitement

Le projet pour le plateau de Saclay

À la demande de l'EPA, Evoloop a réalisé différents scénarios, encore à l'étude, pour généraliser la collecte des urines pour tous les nouveaux secteurs du sud plateau : la ZAC de Corbeville au premier chef, ainsi que les nouveaux secteurs de la ZAC du Moulon et de QEP. Si rien n'est encore arrêté, le principe serait toutefois de maximiser la collecte, avec les principes suivants :

  • généraliser les urinoirs sans eau en tertaire, pour minimiser la dilution et donc baisser les coûts de transport et de traitement ;
  • installer des urinoducs là où les réseaux ne sont pas encore posés, pour diminuer la rotation des camions ;
  • faire coller les modes de collecte et de transports : on ne peut envisager la récupération des urines dans les logements (et donc avec des toilettes séparatives, et donc avec une dilution) QUE là on un urinoduc pour acheminer cette urine diluée.

S'il se concrétise, nous vous tiendrons bien sûr au courant du développement de ce projet, qui serait alors le plus ambitieux au monde par son ampleur !

De la technique... et des usages

Au-delà des grands principes mentionnés ci-dessous, il est nécessaire de prendre garde à un certain nombre de détails de réalisation. Pour les urinoirs sans eau, il faut prévoir un siphon à membrane pour éviter les odeurs. De plus, l'urine a la fâcheuse tendance à précipiter, impliquant un dépôt de cristaux de struvite qui encrasse les tuyaux : pour éviter ça, il faut une pente suffisante (idéalement 4%) et proscrire la circulation d'air, ce qui remet en question certaines habitudes en plomberie. Enfin, il est nécessaire de prévoir des sections transparentes (en polycarbonate) et des T, pour la surveillance et le curage éventuel. Autant de nouvelles prescriptions techniques à inégrer dans nos fiches de lot... et à surveiller ensuite pendant la conception et la réalisation !

Mais au-delà de ces aspects techniques, le coeur des enjeux se trouve sans doute dans les usages, pour garantir l'appropriation du système par les usagers... et usagères. Au niveau des urinoirs féminins par exemple, il est ainsi nécessaire de prévoir des cabines pour l'intimité, et une signalétique adaptée : des panneaux purement factuels (on l'utilise en se mettant dos à l'urinoir, et on jette le papier dans la poubelle... poubelle qu'il faut donc installer et mettre en évidence !), mais aussi pédagogiques, car on aura plus envie de les utiliser si on sait pourquoi ils sont là et à quoi ils servent !

En matière d'entretien et de maintenance aussi, il est crucial de respecter quelques règles pour éviter les contre-références : ménage chaque jour avec du vinaigre blanc pour les urinoirs, nettoyage mensuel de la membrane anti-odeur, etc. Comme souvent, ce n'est "pas grand chose", mais c'est nécessaire pour que cela se passe bien.

Usages

Exemple et contre-exemples

Nous avons enfin eu l'occasion d'aller voir la mise en oeuvre du système sur un bâtiment de bureaux qui fait office de projet pilote pour la récupération des urines. Pas grand chose à signaler dans le bâtiment (un urinoir, c'est un urinoir...), mais cela se corse dans le sous-sol : non seulement les sections transparentes sur les tuyaux sont mal réalisées (en haut de la section horizontale et pas en bas, ou bien carrément sur une section verticale, peu sujette au dépôt par définition...), mais on est aussi agressés par une odeur d'ammoniac en arrivant dans le local ! Après quelques pénibles minutes d'investigation, le diagnostic est posé : en attendant la connexion du bioréacteur, les urines auraient dû s'écouler vers le réseau classique d'assainissement... mais le tuyau de dérivation avait une section dont la pente remontait légèrement, bloquant lécoulement des urines, qui s'accumulaient dans un bras mort... ouvert sur le local via les T de visite !

Rien de dramatique évidemment, le bâtiment n'est pas encore livré, et les OPR sont justement là pour ça : mais cette mésaventure illustre parfaitement que la réussite de sujets innovants se joue à des petits détails, et qu'une attention de tous les instants jusqu'au bout de la phase réalisation n'est jamais superflue !

Un grand merci à Evoloop et Louise Raguet pour la visite, à qui l'on doit également toutes les illustrations présentes dans cet article.